J’aime de moins en moins les gens et mon prochain, je l’emmerde de plus en plus. Il faudrait s’arrêter à une certaine connaissance de l’autre pour pouvoir continuer à l’apprécier. Pas trop se renifler. Juste profiter. Rester en surface. Pas gratter et encore moins comprendre. Bref, comme les relations que l’on a quand on sourit à sa boulangère.
Mais j’ai pas de boulangère. J’aime pas aller chercher le pain. J’ai jamais aimé cette petite course de gentil couple, de jolie famille, de gens rangés. Aller chercher le pain c’est entrer dans une boulangerie à la même heure tous les jours. Apres le boulot ou avant que la belle famille arrive. C’est admettre sa routine. Son besoin quotidien. Cette promenade forcée qui ne rend heureux que ceux qui s’emmerdent chez eux. Ou qui arrange les trompeurs, ceux qui font cocu et qui peuvent en 5 minutes rassurer leur amour que “oui je ne fais que penser à tes miches”. Ou à ta boule. Trop cuite, connard.
Pis les gens dans les boulangeries, ont souvent faim. Ça rend chiant. Pressé. En petite panique cérébrale même des fois, de peur que le client juste avant vous, prenne la baguette que vous reluquez depuis votre entrée et que vous imaginez croquer à la sortie. Parce que c’est celle là qu’il vous faut. Elle est comme vous aimez. Elle est déjà à vous.
Alors que non.
Suspens donc dans la queue. Suffirait que vous soyez mal garés, pour en venir aux mains. Pourquoi pas. Quand on voit qu’avant on osait se battre et qu’aujourd’hui on n’ose même plus se sourire.
On n’ose plus grand chose par ailleurs. On ne peut même plus téléphoner avec des oreillettes, se maquiller en bagnole ou oser dire qu’on est malheureux. On peut plus boire. Fumer. Manger du gluten et des frites en même temps. Oublier de se raser les dessous de bras. Grossir. Vieillir. Fatiguer. Et par dessus tout, on ne peut plus quitter son boulot et son pervers de patron qui avant la crise était des plus fade mais que la “conjoncture actuelle” a transformé en petit tyran. Il a désormais de bons arguments. Il y en a 50 comme vous qui attendent devant la porte. Comme quoi, il n’est pas nécessaire d’être intelligent pour réussir.
Il doit y aller, tiens, ce petit chef chercher son petit pain après sa petite journée et je le vois bien être aimable avec sa boulangère. Parce que, attention, le pain, conjoncture ou pas, il n’y a que là qu’il est bon. “Oui, c’est normal que mon pain soit bon, mon boulanger le fait vraiment lui même”. Là, il y a de la reconnaissance. De la fierté d’avoir trouvé une bonne boulangerie. C’est lui qui l’a trouvée tout seul. Et il vous le dira le jour où vous serez invité chez lui sans jamais soupçonner qu’il joue au dictateur avec ses employés. Vous pourriez admirer un petit gens sans même l’envisager une seconde. Les boules. Bien cuites, connard.
Tout comme ces vieux aussi, que l’on croise sur les trottoirs aux heures les plus agréables selon les saisons et qui font leur balade. Courbés, hésitants, s’appuyant sur une dame de compagnie ou sur une canne, selon leurs allocs. On a la larme pas loin de sortir. Le regard s’attendrit facilement sur la vieillesse. Alors que…Qui a dit que la fin de vie rendait gentil ? Peut être sur ce trottoir, a-t-on a faire à un véritable diable ? Diable jeune devenu vieux, mais diable encore. Plus fort même parce que ses proies ne le soupçonnent pas un instant, fébrile qu’il est…Ou si elles le savent, laissent couler les attaques par déontologie. On ne dit plus rien à un vieux. On l’excuse de tout. Il n’en a de toutes façons plus pour longtemps. Argument imparable pour les deux parties.
La seule qui s’en fout de savoir si c’est à un diable à qui elle a à faire, c’est bien la boulangère. Une boulangerie sans vieux clients vieux, n’est plus. Qu’on se le dise. Je ne connais aucune personne âgée infidèle à son pain quotidien. Elles ont connu la guerre et un repas sans pain n’est pas. Parce que pendant la guerre, on n’en avait pas ou on n’avait que ça à manger. Le retrouver tous les jours sur leur table, par logique de vieux, veut dire que la guerre est finie. Bravo le pain, donc.
En tous les cas, j’aime le pain. Et le frais s’il vous plait. La croûte dorée et la mie presque mouillée. Je n’en mange jamais puisque le bon est vendu par ma boulangère.
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